Avant 1944, les femmes n’ont pas le droit de vote ni celui d’être élues, puisque c’est le gouvernement provisoire de la République française qui leur reconnaît ce droit le 21 avril 1944 ; elles pourront l’utiliser, pour la première fois lors des élections municipales du 29 avril 1945, puis en octobre pour les élections à l’Assemblée constituante.
Mais, faute de pouvoir se prononcer et siéger, avaient-elles le droit d’être candidates à une élection ?
Nous évoquons ici une deuxième expérience démocratique réalisée à Joinville-le-Pont, après l’essai d’une forme de proportionnelle en 1912.
En septembre et octobre 1928, des élections complémentaires sont nécessaires pour compléter le conseil municipal. Il faut en effet remplacer le maire, Henri Vel-Durand, décédé, et deux autres sièges sont vacants.
Trois listes vont se présenter : une liste de la gauche républicaine, associant des radicaux et des socialistes Sfio ; une liste de l’Union républicaine, qui a le soutien de la majorité municipale en place et une liste communiste.
La gauche républicaine (centre-gauche) est sous la direction de Georges-Émile Briolay (1863-1940), tapissier, qui deviendra maire en 1929. Il est membre du parti radical-socialiste. Elle comprend également M. Cornet et Georges Roger, plombier à la Compagnie du gaz de Paris, né en 1876. Ce dernier appartient au parti socialiste Sfio de Léon Blum.
L’Union républicaine (droite) est conduite par le président de la Société nautique de la Marne, Émile-Baptiste Lecuirot, dont le fils et champion d’Europe d’aviron, Émile Lecuirot, allait d’ailleurs remporter la course annuelle des Trois Sports organisée le jour même des élections à Joinville-le-Pont (deux km en courant, sept km à bicyclette et six km et demi en canoë). Figurent aussi MM. Richard et Dévenin.
La liste communiste est dirigée par Roger Benenson, ouvrier mécanicien travaillant à l’usine des eaux de Joinville. Né en 1900 à Paris, il deviendra, à la faveur du Front populaire, député de Seine-et-Marne et trouvera la mort en déportation le 5 mars 1945 à Drütte, en Allemagne. Elle comprend également Guervin (ou Guénin). Enfin, on y compte une candidate, Martin.
En 1928, le parti communiste présentera plusieurs « candidates des travailleuses ». Il s’agit, selon L’Humanité (18/04/1928) d’affirmer « l’opposition de classe » du Pcf à « toutes les ligues féministes de pacotille. »
Si aucune loi n’interdit de présenter une candidate, la préfecture envoya à la municipalité une note pour que soient annulées toutes les voix qui se porteraient sur son nom. La municipalité de droite obéit à la demande des autorités.
Le nombre de suffrages qui se sont prononcés en faveur de la candidate communiste n’est donc connu que de manière approximative et L’Humanité l’estime à 286, soit 16% des votants.
Les communistes protesteront. Ils qualifient le refus de compter les votes d’« acte arbitraire » et d’« abus de pouvoir ». Pour eux, il n’appartient pas à un maire de se substituer aux tribunaux administratifs pour apprécier la validité des suffrages émis.
Le décompte officiel donnera 44% des voix à la liste de centre-gauche, 39% à celle de droite et 16% aux communistes, y compris 106 voix attribuées à des candidats « divers ».
Au second tour, les opposants de centre-gauche recueilleront 47,5%, devançant la droite et les communistes qui s’étaient maintenus. Georges-Émile Briolay retourne au conseil municipal, où il avait été élu en 1904 et 1908 ; il est accompagné de Cornet et du socialiste Georges Roger. C’est le serrurier Henri Durande (1875–1951) qui sera désigné comme maire par la majorité élue en 1925. Il ne restera que sept mois en fonctions puisqu’il sera battu lors du scrutin général de mai 1929.
Je n’ai pas d’indications sur qui était la candidate. Il pourrait s’agir de la fille de René Martin, militant à la Confédération générale du travail unitaire (Cgtu, proche des communistes mais qui accueillait également des syndicalistes révolutionnaires). René Martin était de tendance anarchiste ; il quitta la centrale syndicale pour diriger un journal libertaire. Il mourut en décembre 1964 à Joinville-le-Pont. Sa fille épousa en 1937 Maurice Laisant, également activiste anarchiste et employé de la Sncf. Elle eut un enfant en 1940 et divorça en 1947.