Je reprends ici une partie d’un article signé de Chamizam et publié dans Le Post (02/07/2008), sous le titre un peu curieux « Baba coule sans faire de vagues ». Il raconte d’après les témoignages ce qui s’est passé dans les dernières minutes de la vie du jeune malien Baba Traoré qui est décédé le 4 avril 2008 après avoir tenté d’échapper à un contrôle policier.
« Courir, chuter, mourir. D'abord courir, évidemment, pour congédier les policiers en blouson noir, brassard rouge, appointés au contrôle d'identité. Chuter probablement, si possible dans la rivière verdâtre de la Marne, non loin de la berge, sans que l'on sache très bien s'il s'agit d'y sauter avec hardiesse ou d'y trébucher malencontreusement. Enfin mourir, comme il se doit, de noyade consécutive au choc thermique avec une eau à 6 degrés selon les termes de l'autopsie.
« Ce n'était pourtant pas une belle journée pour mourir, en ce vendredi 4 avril : ciel bleu pâle, soleil pudique, vent frais. Au sud-est de Paris, Joinville-le-Pont, Val-de-Marne : entre l'église Saint-Charles et le monastère bouddhiste, sa gare RER, scène de la rencontre fatale. Baba Traoré, jeune homme, l'allure sportive, le regard inquiet, est abordé par des agents de la RATP pour vérifier sa carte Navigo. Celle-ci est valide mais une pièce d'identité est requise. Se sachant en situation irrégulière depuis quelques mois, Baba sent le piège se refermer sur lui. Sans titre à leur fournir, le voilà prié de bien vouloir suivre les policiers de la BAC, toujours disponibles en renfort, pour un contrôle de son identité dans leur véhicule équipé d'un fichier. Basculement : l'homme décide alors de quitter la compagnie des fonctionnaires qui l'entourent et de prendre la tangente. Sortie par le haut, en remontant l'escalier qui mène au parvis de la gare. Devant lui, la rue Jean Mermoz : autant la dévaler sans perdre une seconde. C'est ainsi que passants et commerçants verront courir à toute allure, comme si leur vie en dépendait, trois hommes, l'un avec une légère avance, en direction du pont de la Marne, 400 mètres plus bas. Au croisement de la rue Chapsal, où se trouve l'arrêt de bus dénommé « carrefour de la résistance », Baba tourne à gauche. Un policier réquisitionne un scooter et continue motorisé la poursuite. L'autre agent se dirige vers le pont, couvrant une éventuelle retraite arrière du fugitif tout en gardant une vue d'ensemble sur la traque.
« Tout se joue désormais entre deux hommes : l'immigré paniqué qui risque d'être expulsé en cas d'arrestation ; le policier zélé qui s'acharne à vouloir capturer celui qui représente une cible de choix pour sa hiérarchie. Deux hommes que tout oppose mais qui vont partager le secret intime, dans les détails de son déroulement, d'une tragédie : la noyade de l'un d'entre eux. 14h30, face au 15 quai de la Marne, le drame se noue : après une course folle le long de la rive, Baba Traoré rejoint l'embarcadère de la berge. « Fais pas le con ! », se serait exclamé le policier lancé à sa poursuite et entendu par deux voisins alors présents sur leur balcon. Alarmé par cette remarque, Louis Bertrand, demeurant au deuxième étage d'une résidence située au numéro 17, dirigea son regard en direction de l'embarcadère. Qu'observe-t-il ? « Un homme debout sur la berge faisant face à une masse dans l'eau qui disparaît ». A « portée de bras », précise-t-il. M. Bertrand est intrigué. A cet endroit où les riverains aiment faire une halte, observant les parades du club d'aviron d'en face, il n'est pas rare que certains laissent sauter leur chien dans la rivière quand l'eau recouvre l'embarcadère. Mais l'homme en blouson noir semble détaché en présence de cette « masse dans l'eau », juste avant de remonter d'un pas tranquille la pente menant au quai, « prenant son temps », et de saisir son téléphone portable avec un « air passif ».
« L'autre témoin, en l'occurrence une voisine habitant au numéro 15 du quai, situé également au second étage, et qui préfère conserver l'anonymat, était en train de couper les fleurs sur son balcon quand elle entendit la mise en garde du policier. A peine eut-elle le temps, elle qui demeure face au point de chute, d'entrapercevoir un corps courir, venant de la direction opposée au pont, et tomber, poitrine en avant, dans l'eau, de manière précipitée et maladroite, « comme s'il avait glissé sur de la vase ». Elle ajoute que la scène lui parut tellement étrange qu'elle s'imagina assister à un « film en tournage » ou surprendre de « véritables gangsters en train de régler leurs comptes ». Ensuite ? Rien. Les deux voisins s'accordent pour constater le départ de l'homme au blouson noir en direction de son collègue qui lui-même revient des abords du pont où il semblait être resté pendant la course-poursuite. Une dizaine de minutes s'écoulent. Baba n'est plus visible pour les voisins. Les sapeurs-pompiers arrivent. D'après Moussa Koné, beau-frère de la victime, des riverains, présents lors de l'arrivée de l'armada policière et des secours, lui ont rapporté par la suite que les pompiers, dont la caserne est pourtant proche, « attendaient leur combinaison » pour pouvoir rechercher Baba dans la Marne. C'est finalement la brigade fluviale qui récupérera le corps inanimé du sans-papiers. A quelques mètres de l'embarcadère où la chute dans l'eau s'est produite. Malgré le courant rapide de la rivière, en raison d'un barrage situé 150 mètres plus loin, Baba n'a pas dérivé.
« L'équipe du Samu l'installe sur le trottoir du quai, coupe ses vêtements et procède à la tentative de réanimation. D'après une dame à la retraite qui habite exactement au-dessus de la scène des premiers soins, après le « passage d'un hélicoptère et des hommes-grenouilles qui ont plongé deux fois dans une eau plus élevée que d'habitude », les ambulanciers ont passé près de trois quarts d'heure pour tenter de le sauver, avec détermination. En vain. « Je n'en ai pas dormi de la nuit », avoue-t-elle, les yeux encore embués. Un autre témoin du massage cardiaque, Mme Joncour, depuis l'île Fanac face au quai, affirme également avoir constaté l'énergie déployée par l'équipe médicale. D'après le rapport de la police, la réanimation du corps s'est produite mais Baba Traoré était toujours dans un état critique. Il fut alors décidé de la transporter dans un hôpital. Cette nécessité élémentaire s'est pourtant accompagnée d'une incongruité : au lieu de transporter la victime inconsciente à l'hôpital le plus proche, comme celui de Créteil ou de Vincennes, Baba Traoré a été emmené à l'hôpital Lariboisière, au nord de Paris, à une dizaine de kilomètres des lieux du drame. Quelques heures après son évacuation, il succombera à une crise cardiaque. »
- Pour lire l’article de Chamizam en intégralité, cliquez sur le lien suivant : Baba coule sans faire de vagues.
Voir sur le site de Anitaa un montage en "Hommage à Baba Traoré, sans-papiers malien de 29 ans mort après être tombé dans la Marne voulant échapper à un contrôle policier, victime malheureuse de la politique du chiffre."